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INTERVIEW PAR FRANCOISE MONNIN

 

 - Qu’est ce que l’expérience des squats artistiques t’a apporté ?

 

La vie dans les squats artistiques m’a fait découvrir une riche matière intérieure propice à la création. Je voudrais faire part de cette expérience. L’établissement dans un squat ressemble à une initiation donc les règles seraient  à inventer par chacun.

D’abord ,il faut reconnaître que dans l’étouffement et l’étroitesse de la vie des grandes villes ouvrir un squat ,comme on ouvre une amande a quelque chose de magique. On découvre au sein d’un monde où chaque cm² a l’obligation d’être utile de se couler dans le moule d’une fonction de travail ou de loisir, une porte ou une fenêtre qui s’ouvre sur d’immenses espaces abandonnés.
A côté d’inévitables décombres ,il y a souvent ici et là des géométries involontairement belle des lumières étranges ,des objets mystérieux ou bizarres. Les ruines industrielles sont énigmatiques. Leur mémoires enfuies semblent perdues .C’est un autre temps, un autre espace, une autre vie passée, une autre vie possible…Paradoxalement le risque permanent d’expulsion constitue peut être dans ce cadre un bien, en tous cas un facteur dynamique .Ce risque enseigne à préférer la liberté à la propriété.

 Ensuite, œuvrer dans un squat artistique  est peu confortable .Les gens qui arrivent là, amènent avec eux une abondance de cultures. Ce sont des artistes d’origines étrangères pour la plupart et souvent de souche populaire. Ils ont besoin de mouvement et de vie collective mais ils connaissent mal la culture française et ils ont peu de références communes.

Des problèmes intenses d’identité se posent  immédiatement. L’espace du squat semble être en résonance avec le questionnement de la mémoire de chacun de ses occupants.

On ne sait pas qui a vécu là ,ni comment pas plus qu’on ne connaît l’enfance de son voisin de squat que l’on entend pourtant travailler ,jouer ,se quereller etc. à la longueur de journée .

On se retrouve spontanément à la recherche d’une mémoire imaginaire. Voici un sorcier incendiaire au mille et unes ruses. Voilà un magicien impressionnant. Là, le maître du feu et des cendres. Ailleurs, un peu partout de grands ou petits sages désoeuvrés passent la tête dans les nuages ou préoccupés à réparer une conduite de gaz. La plus part des œuvres restent inachevées ou bâclées. Toute fois chacun trouve ou construit à profusion des symboles, des totems, des fétiches, qu’ensuite il manipule puis transforme.

Il naît à l’intérieur du squat une foule de mémoires imaginaires. Ces artistes essayent de concrétiser leurs hallucinations lucides sous forme de peinture, de sculpture, d’assemblage, de cérémonies (nommées « performances ») de fêtes ,de manières de vivre…

 Comme la majorité des gens que j’ai rencontré de squat en squat, ma première préoccupation, après avoir délimité mon territoire a été de faire vivre un personnage .Je l’ai fait pour ma part de façon systématique et j’ai donné à ce personnage un nom bien connu tiré de la mythologie : Lilith .

Dans mon premier squat de la rue d’Arcueil  (Art Cloche 1) le plus ancien paraît- il grand squat artistique à Paris de mémoire de squatteurs, j’étais au début  la seule femme artiste qui travaillait chaque jours sur place et j’ai dû livrer un rude combat pour me faire reconnaître comme un être humain à part entière. Part analogie, le personnage que j’ai choisi (sans préoccupation religieuse) était d’après le Talmud la première femme revendiquant à la fois sa féminité et son égalité avec l’homme, tout cela sans concession .Bref, encore aujourd’hui, un monstre. Je n’ai pas du tout suivi le Talmud à la lettre. J’ai reconstruis un nouveau mythe autour de ce personnage. Je l’ai fait vivre en peignant, sculptant, en inventant des rituels.

Le symbole de Lilith est très simple. Je m’en suis beaucoup servi. Il s’agit d’un triangle ou d’une pyramide sur sa pointe. Comme toute forme géométrique celle-ci n’a pas en elle même un sens particuliers. Tout au plus peut-elle suggérer vaguement le renversement /anéantissement des hiérarchies ou le sexe féminin. C’est par mon œuvre, les histoires que je raconte dans mes peintures, mes installations, mes sculptures, mes cérémonies que je donne un  sens à ce signe ou plutôt une multitude de sens.

 En 1986 j’ai découvert et ouvert un squat rue d’Oran (Art Cloche 2) une ancienne usine Citroën de 1000 m² sous verrière ou nous avons déménagé. J’y ai invité des amies artistes et se fut vraiment le premier squat mixte, ou les femmes enfin travaillaient et restaient sur place.

La personnalité de Lilith semblait ainsi prendre forme en dehors même des cérémonies, des objets magiques, des peintures. J’ai continué à élaborer mon personnage de Lilith. Au cours des années mes repères symboliques ont proliféré.

 Dans un squat les problèmes de partage des espaces, des matières, des objets, du temps se posent immédiatement et sans cesse. Ce sont au moins autant des problèmes symboliques que matériels. Cependant, on y vit sans règles précises. Il n’y a jamais de règlement dans un squat artistique. Tout est toujours à réinventer.

 J’ai ressenti le besoin de me référer à un idéal :à la très vieille civilisation de Chatal Huyuk. Cette petite ville n’étant pas plus grande qu’un grand squat, la vie était étonnement égalitaire. Les habitats retrouvés n’étaient pas luxueux mais décorés de fresques, de sculptures, de tapis superbes.

Je me suis approprié les signes de cette civilisation, tout en construisant avec ces signes mon propre langage.

Longtemps après mes premières expériences de squat mes peintures restent marquées par ces éblouissements.

Paradoxalement, c’est la vie assez frustre des squats qui a imprimé dans mes œuvres le sens des rites, des mythes et des cérémonies ou on tous cas qui m’a donné une fois pour toute le désir de les approfondir. 

 

 FRANCOISE MONNIN

 Projet pour la revue Artension pour le no. Prochain 2002.