Revue FRANCAISE, N° 474-475, 1992
Lettres à Jean-Pierre Le Goff Hôtel de l'Image
Par Ody Saban

Voir, c'est percevoir tout, tout de suite.
Que soient acceptés ou non les liens entre les images inconscientes et rythmées qui nous sont offertes, je prends ces liens qui deviennent images conscientes. Ces liens me troublent avec la même intensité que l'arabesque dans son labyrinthe pondant des fleurs dans une assiette en porcelaine d'Iznik.
La première étape de mon vertige de voir tout, tout de suite, n'est plus celui de l'œil où l'araignée d'Egypte devient en sautillant un scarabée sculpté, ni celui de qui saisit l'âme du portrait de Dorian Gray.
Le vertige est partout, je le pose où je veux, l'œil éclatant à l'intérieur de l'objectif, celui-ci ne cadrant ni ne retenant plus le plaisir de s'envoler. A la deuxième étape du vertige, quand je me pose sur une table de mon enfance où reposent des pantalons et des gants en plastique qui n'ont pas été repassés pour le plaisir de chanter et d'écouter jouer de l'oude, ces mêmes pantalons et gants sont suspendus aux images nouvelles que je peins sur ma toile d'araignée. Alors, je montre à ce qui m'a été offert des images initiales mes doigts emplumés de pinceaux, je voltige et je repars du même reperd - départ. De la matière Hermite je ne me suis pas épuisée. A la main le fil d'Ariane, je me permets de me perdre dans l'éphémère.

Où sont-elles ces femmes qui nous ont quittés
Violentes en suspens,
Regards sur le mur, rien pigé.
Comment avez-vous quitté ce pont ?
Douceur qui viendra après. Rose-noir.
Il y a un mouchoir bleu, trou dans le ciel.
Mémoire.
La terre ne serait à personne. Oiseau.
Aisha demande "d'où es-tu ? "
L'autre regarde ses pieds.
" Maman, quel jour suis-je née ? " demande Aisha.
La maman est imbécile d'oreille ;
Elle s'y accrochait souvent des cerises.
Elle lui dit que ses yeux étaient forts.
Aisha tourna le dos
Mains glissèrent sur les genoux.
Œil, œil je te donne un œil pour ton jardin des lilas.
Les mouches sur la lumière de l'ampoule,
la bouche entrouverte
Aisha rêva.(Poème extrait du Journal New-Yorkais,1980)