Comment je me sens Art Brut
Par Ody Saban

Lu à l'émission de radio France Interne de José Arthur, "Art Brut ", le 11. 12 . 1977, Paris.

Je pense que l'adjectif art brut est une étiquette. Pour moi, le mot art brut est assez abstrait. Ma création est très raffinée et je suis très proche de la folie. Ce qui est important c'est être soi, c'est tout. Le concept d'art brut véhicule une confusion. On mélange souvent la peinture des fous qui luttent comme moi pour ne pas se laisser enfermer dans la folie. Ce sont une catégorie très spéciale de fous. Ce sont ceux qui luttent aussi contre la folie du monde extérieur car ils savent que c'est le système de cet univers shizofrène et paranoïaque qui est fou et qui menace de nous engluer. Le temps est divisé en petits morceaux, les gens sont séparés des uns des autres, les gens font masque avec leur figure, le racisme est une folie, un délire institutionnalisé…
Je ne me sens pas si proche vraiment de la création des dilatants
les retraités, qui créent de temps en temps, soit parce qu'ils sont pensionnés
, seul ou organisateurs comme l'était Jean Dubuffet. Je ne critique absolument pas Dubuffet. Il avait beaucoup de qualité. C'est dommage que le mot et le concept " art brut " se soit imposé.
Jusqu'avant six ans, je me prenais pour une réincarnation de Lilith, qui est dans l'ancien testament la femme maudite par dieu misogyne et je voulais venger Lilith, d'ailleurs comme encore aujourd'hui et accomplir son œuvre que pour moi est une belle œuvre. Aujourd'hui, après sept ans de psychanalyse, je crois toujours la même chose mais je sais que ce n'est pas ce qu'on appèle d'habitude la réalité, c'est peut-être plus fort que la réalité, c'est une idée, c'est un image, un mythe, un utopie. Mon art est un art magique, je suis une chaman, une voyante. Je suis en métamorphose continuelle. La plupart du temps spontanément je suis dans un univers d'imagination et d'hallucination. Je me transforme. Par exemple, je me sens une fleur, je rentre dans sa peau et je regarde le monde à travers elle, comme je peux rentrer dans la peau de l'autre . Mais au départ cela n'est pas un image, cela est une réalité. Evidemment que je ne vais pas m'arroser. Cela n'est pas une rêverie ou une situation qu'on sait qu'on est entrain de rêver mais je suis complètement dedans, à part que je m'en détache mais avec une grande douleur.
Je transforme les objets que je vois. Par exemple cette table que je vois a un œil, un cœur, une robe, des seins, des enfants sur elle, quelques sexes, elle chante en parlant aux coquelicots qui pendent de ses oreilles pendant qu'elle caresse une autre table.
Je fais un effort pour m'adopter à la vie pratique alors que pour la plupart des gens, c'est le contraire. Ils sont enfermés dans cette vie pratique.
Je fais un art qui est très érotique et très fort qui, à mon avis a des affinités avec l'œuvre d'Aloïse bien que nos styles ne se ressemblent pas du tout et que j'ai connu son œuvre bien tardivement. Même dans le milieu d'art brut on trouve mon œuvre trop angoissante, agressive, érotique. Pourtant les enfants ne sont pas de cet avis. J'ai été souvent choisi par les enfants pour être exposée dans des écoles maternelles et primaires.
J'ai la chance, bien que j'ai des rapports avec la folie, de n'avoir jamais été enfermée dans un asile psychiatrique comme la plupart des autres. J'ai la chance de pouvoir m'exprimer et librement, aussi des choses folles, à les comprendre et les maîtriser.
Je ne pourrais pas vivre sans peindre. Pour moi, c'est une nécessité, une réalité de tos les jours. Si je dois mener une vie normale en travaillant et en ne créant pas tous le temps, alors là je deviens vraiment malade, très violente et même dangereuse. Mais je vous rassure, je n'ai jamais tué personne et j'arrive même à élever ma fille depuis sa naissance et elle a quinze ans.