CHATAL HUYUK


Chatal Huyuk, la première cité urbanisée connue au monde, fruit de la première sédentarisation du néolithique en Anatolie, peut être considérée comme un Etat organisée sous une forme matriarcale dont témoigne le culte rendu à la grande déesse mère, attesté par les fouilles du sixième niveau entre 7000 et 6000 avant notre ère. Les vestiges révèlent l'existence des sanctuaires contenant des peintures murales représentant schématiquement la grande déesse mère engendrant son fils qui est le buffle et dont les têtes cornues couvrent les parois du sanctuaire. Depuis la nuit des temps la déesse mère, étroitement liée au culte du taureau, fut vénérée sous les aspects les plus divers en laissant des traces importantes dans l'art du paléolithique jusqu'à nos jours, allant des figurines " de Venus " du magdalénien jusqu'aux Artémis d'Ephèse à travers les peintures et le relief de Chatal Huyuk.
La déesse mère est garante de renaissance, d'immortalité et de fertilité, symbole de l'éternelle féminité elle y apparaît en profusion souvent en forme de triangle, de corps schématisé jusqu'à l'abstraction accompagnée de son animal symbolique le taureau dont les cornes se reflètent dans son corps. Il est symbole de sa progéniture à laquelle elle donnera la vie et la mort par le sacrifice rituel du taureau qui lui est dédié, pour assurer la fécondité de la terre et la renaissance de la nature après les gels d'hivers. Ce rite universel lié au cycle agraire est encore répandu à nos jours dans des contées lointains. Les croissants de lunes du drapeau de la Turquie s'annoncent déjà dans les cornes du taureau, ils devaient s'associer à d'innombrables divinités féminines ultérieures entr Astarte, Athéna et Artémis, jusqu'à l'iconographie chrétienne de Marie.
Les murs parsemées d'empreintes de mains, archétypes propiatoires et protecteurs dont ont survécu des traces sur les portes des maisons paysannes d'Anatolie, se mêlent aux reliefs de seins et de bucranes.
Le culte funéraire qui devait se dérouler dans ces sanctuaires conjurent l'immortalité des défunts protégés par la déesse mère qui assure leur survie dans l'au delà, ainsi que protectrice des fauves et de la chasse elle garantie celle de la cité.
Plongée dans la cité matriarcale jamais perdue de Chatal Huyuk je ranime par un cri strident la déesse oubliée par des couleurs de l'Anatolie, le rouge et ocre des Kilims, le jaune et le bleu des derviches. Hiératiquement je les fais vibrer sur mes icônes ressuscités d'un passé glorieux. Mes triangles revendiquent l'éternelle féminité universelle se perpétuant dans des croissants de lune blafarde l'élevant aux contrées célestes de l'intemporalité dans un fond ocré spirituel.
Des empreintes de mains virevoltent autour des triangles, se mêlant aux croissant de lune se dissolvant dans une bichromie bleue et jaune. La luminosité de mes tableaux leur confère une atmosphère d'irréalité intemporelle ayant traversé des siècles lourdement vécus.
Ils possèdent une efficacité impétueuse par la présence pénétrante des symboles d'une valeur universelle et collective qui ont à travers les millénaires transcendé notre mémoire. Je m'efforce d'éveiller par mes icônes ou étendards la société si paisible d'un matriarcat oublié par des couleurs de sang, de la passion et de l'intuitif contrastant avec le bleu de la raison, du froid et de l'anorganique, symboles de la bivalence qui a dû exister sans qu'il y ait eu conflit. Les triangles, portes d'un temple d'une féminité tant oubliée, protégées de mains, sont la mort, la vie et ses trois âges, la trinité, la source de toute création et pensée tant regretté.
Incessamment je revendique les valeurs féminines par des signes qui s'engravent dans la mémoire.
Dans une intervention je recrée la cosmogonie par le jasement d'un trait mauve originel duquel naissent par un mouvement exacerbé de deux coups de pinceaux les lignes rouges et bleues construisant le triangle. Ma transe créatrice se fond dans le rythme d'une danse de derviche.
La colonne primordiale en se démultipliant quitte sa verticalité en faveur d'une horizontalité à laquelle s'approchent les lignes constructives, elles culminent dans le couronnement de la lune. La lune se couvre par un deuxième tableau ou figure le soleil devenu masculin, plongée dans l'obscurité fatale, elle retrouve la lumière par le déchirement du soleil. Le soleil le buffle déchirés ne sont qu'un reflet du sacrifice du taureau par lequel sera rétabli l'ordre cosmique.
Mes dessins à l'encre frappent davantage par le froissement de signe sous l'augure du buffle majestueux couronné de la lune, protégé d'une gigantesque main. Les mains tendues en adoration vers l'arbre de la sagesse composé d'un étagement triangulaire de cornes, bucranes et d'étoiles dont le sommet atteint l'infini, supplient mon auguste intervention.

Ody Saban 1986

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